"Convertir Les Travailleurs En « Entrepreneurs » Individuels : (re)Penser Les Actions Collectives à l’Aune Des Logiques d’Autonomisation Du Personnel"

Parmi les nombreuses évolutions qui traversent les mondes du travail, l’essor de «zones grises» entre indépendance et salariat a profondément renforcé l’individualisation des relations professionnelles. Ceci est particulièrement frappant au sein même d’industries traditionnelles, où la diffusion de dispositifs managériaux «modernisés» affecte profondément les collectifs salariés habituellement solidaires et «mobilisés». Nous montrerons les conséquences de l’enchevêtrement entre formes salariales usuelles et logiques d’autonomie dans une usine où, à la suite d’une récente fusion, le recours à de nouvelles pratiques d’évaluation favorise leur «hybridation».

Nous nous intéresserons alors à la recomposition des logiques et des modalités de résistance au travail des populations ouvrières, jusqu’alors portées par une présence syndicale forte et «politisée». Nous interrogerons tout particulièrement la nature variée et différenciée des conflictualités actuelles sur le site, au répertoire d’autant plus hétérogène qu’elles agissent en réaction à des formes de domination nouvelles. Cette présentation s’appuiera sur une étude ethnographique menée depuis 2014 dans une usine pétrochimique d’une grande entreprise française – «bastion protestataire» historique- composée de 67 entretiens avec un large panel de salariés, de nombreuses observations, et d’un vaste corpus documentaire.

Tout en abordant la singularité de notre enquête (terrain «familier» où notre père est ouvrier militant CGT), nous montrerons comment l’atomisation des collectifs et l’autonomisation des salariés, dans un contexte concurrentiel individualisé, tend à éroder leurs réseaux traditionnels de défense et de solidarité face à la direction. Nous étudierons également comment les nouveaux dispositifs d’évaluation des performances contribuent à l’acculturation des travailleurs -incités à développer un ethos gestionnaire en devenant de véritables «entrepreneurs» indépendants, responsables et flexibles, acteurs de leur carrière- tout en discréditant ainsi les actions et les revendications collectives. Nous tâcherons alors de saisir les logiques et les modes d’actions différenciés des contestations que ces derniers peuvent aujourd’hui collectivement opposer au sein de cette nouvelle configuration imposée.