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Pleurer Ensemble Restaure-t-Il Le Lien Social ? Les Commissions De Vérité, « Tribunaux Des Larmes » De L'après-Conflit

Thursday, July 17, 2014: 4:00 PM
Room: Booth 55
Oral Presentation
Sandrine LEFRANC , Institut des Sciences Sociales du Politique, CNRS, Nanterre Cedex, France

Les commissions de vérité et de réconciliation, dispositif emblématique d’une « justice transitionnelle », font figure d’institution exemplaire. Quelque trente instances ont ainsi été chargées, depuis les années 1980, d’établir, après un conflit politique violent, la « vérité » sur les actes de violence, et de proposer une politique de réparations au bénéfice des victimes. L’expérience de la Truth and Reconciliation Commission sud-africaine (1995-1998), a contribué à leur succès. La force des émotions qui s’y sont manifestées, a crédité les commissions de vérité d’une capacité de modifier le rapport des sociétés à leur passé violent, à un double niveau : celui des individus blessés et celui du collectif. En permettant aux victimes de raconter leur expérience de la violence, ces institutions leur permettraient de se libérer du traumatisme. Ces scènes émouvantes dans le même temps refonderaient la nation.

Ce pari se fonde sur des descriptions erronées de ce qui se passe sur la scène des commissions de vérité, et sur des erreurs intellectuelles. Une de ces erreurs consiste à croire, en premier lieu, que les acteurs arrivent à l’audition avec des émotions nées de l’expérience de la violence politique, et stockées depuis lors —des « traumatismes ». On suppose, en deuxième lieu, que ces émotions, traumatiques, sont suscitées par la souffrance : peine infligée par la violence, ou souffrance de la perte d’un proche. On imagine, en troisième lieu, que l’expression émue de cette souffrance permet le remplacement d’émotions de déliaison, par des émotions d’adhésion : la victime s’identifierait à un collectif qui la reconnaît enfin ; réciproquement, la nation se refonde dans la communion émotionnelle, dans l’effusion cathartique. On verra comment ce « tribunal des larmes » que fut la TRC met à l’épreuve ces convictions.