Ouvrir La Boîte Noire Des Peurs Féminines : Encadrement Parental Des Pratiques Urbaines Des Enfants Et Dimension De Genre

Une large littérature a mis au jour la spécificité de l’expérience féminine des espaces publics, au sein desquels « féminité » tend à rimer avec « danger » (voir notamment Warr 1985 ; Gardner 1990 ; Ferraro 1996 ; Condon et al. 2005). Possédant « une connotation sexuée et sexuelle très claire » (Lieber 2008), un type de peur spécifique au genre féminin se distingue, qui tend à être naturalisé par les hommes mais aussi les femmes vivant en milieu urbain.

Interrogeant la socialisation urbaine dans le cadre familial, l’approche compréhensive de l’encadrement parental des pratiques urbaines des enfants permet de mieux saisir la genèse de cette différenciation genrée de l’expérience des espaces publics. Menée auprès de parents de 123 enfants âgés de 8 à 14 ans à Paris et Milan, une enquête par entretiens (n=78) montre ainsi que les filles font l’objet d’un traitement différencié largement intentionnel. La forte prégnance de la représentation d’espaces publics à dominante masculine et hétéronormée conduit les parents à mettre en œuvre des précautions spécifiques pour les filles, qui recoupent largement celles prises par les femmes dans les espaces publics : évitement de lieux, recherche d’une escorte, contrôle de l’habillement et de manière plus générale de la présentation de soi.

Pour reprendre la typologie d’Albert Hirschman, les filles sont socialisées à l’évitement (exit) et à la discrétion (loyalty), mais pas à la remise en cause des normes de genre (voice). La transmission de normes genrées semble ainsi pouvoir être considérée comme la clé de voûte de la vulnérabilité ressentie et perçue des femmes dans les espaces publics urbains, l’encadrement parental contribuant dans cette perspective à la (re)production d’inégalités d’accès à la ville mais aussi à l’incorporation du genre par les enfants.